(Livre Musiques d'Aujourd'hui, 1993).
L'invitation à soumettre, en tant que label, un texte pour cet ouvrage, était des plus excitantes. Mais mon propos n'a jamais été théorique, conceptuel ou même militant pour certaines formes d'activités artistiques, dont les "activités musicales". Je ne pourrai donc offrir ici que quelques réflexions concernant mes activités, réflexions qui pourront, je l'espère, servir d'introduction.
Mon activité de label peut être définie comme "underground". C'est un état de fait, un qualificatif qui ne me dérange aucunement dans la mesure où cette situation n'est pas péjorative pour moi, et où le terme en lui-même n'est pas péjoratif ; mais je me sens beaucoup plus proche de ce que l'on pourrait appeler "un maquis artistique et culturel", où les individus/artistes ne concèdent aucun compromis quant à la forme et au fond de leurs travaux. De ce fait, l'audience avertie est assez réduite, et le milieu peut paraître clos et élitiste. Il n'y a pourtant rien de délibéré à cela.
Le champ des musiques expérimentales est très vaste, d'autant plus vaste que derrière les "écoles" connues de la musique contemporaine existe un network d'individus, d'organisations qui, à travers le monde, produisent et échangent leurs travaux et leurs réalisations. Il y a toute une activité alternative, parallèle, avec ses propres réseaux de distribution, de diffusion, sa propre économie. Ce réseau est de plus en plus présent un peu partout, et déborde sur le territoire de la distribution commerciale ainsi que sur celui de l'art contemporain.
SFCR fut créé au tout début de l'année 1990. Après avoir animé une émission de radio pendant plusieurs années durant lesquelles je m'étais ouvert au champ des "musiques expérimentales", le désir de prendre une part plus active dans ce network se concrétisa par la création du label. L'idée première en était simple. N'étant pas intéressé moi-même par l'expérimentation sonore, le label produirait et proposerait des réalisations d'individus/artistes, exprimant par des travaux sonores une esthétique bien particulière, sans objectif commercial. Mon intérêt était, et est toujours, de mettre en valeur et de promouvoir leurs créations, au moyen notamment de packagings originaux et attractifs. En effet, le label ne se contente pas d'une activité de distribution (activité que je ne renie aucunement car elle me permet à la fois d'affirmer mes options, mais aussi de les contrebalancer en présentant celles d'autres labels et individus/artistes, encore plus obscurs ou au contraire établis). La production et la réalisation sont également parties intégrantes de SFCR, voire parties majeures.
Les débuts du label furent "clandestins" puisque ce n'est qu'au cours de l'année 1991 qu'il fut déclaré sous le statut d'association de type loi de 1901. Il est effectivement basé sur l'autofinancement, ce qui lui garantit, à quelque niveau que ce soit, une indépendance totale.
De par sa facilité d'utilisation et de réalisation, la K7 s'est énormément développée au milieu des années 1980 et a permis au network de prendre beaucoup d'importance, et à de nombreux individus de faire connaître leurs travaux. Elle fut donc le moyen idéal pour débuter. Bien utilisé, c'est le support de transmission le plus efficace, le support parfait se prêtant à toutes les idées de packaging et présentant un faible investissement puisque l'on peut réaliser un nombre très limité de copies à la fois (ce qui ne veut pas dire que ce soit le moyen le plus économique pour produire, puisque le prix de revient d'une réalisation K7 est souvent plus élevé que celui d'un CD, fabriqué en série). Elle représente à mes yeux plus qu'un outil de réalisation ; c'est avant tout un objet à part entière, faisant corps avec le contenu et ayant une dimension quasi humaine.
Aucune réflexion et aucune idée relatives à une démarche précise en tant que label n'ont précédé sa création. N'ayant aucune culture musicale classique particulière, la musique en elle-même, ses notes, mesures, constructions et particularités ne m'ont jamais intéressé. Je n'ai jamais non plus prétendu en tant que label avoir une démarche définie par rapport à tout discours théorique et conceptuel (classique ou contemporaine) concernant la musique.
Le terme de musique ne me gêne pas s'il peut contenir tous types de travaux sonores au-delà de l'utilisation de tout instrument destiné à produire des notes, et de toute écriture ou règles établies. J'aime les sons de toutes sortes, et plus encore le bruit, organisé ou non, désiré et généré ou non. Le terme de "musique expérimentale" a ceci de pratique qu'il permet de nommer toute activité sonore autre que les différents styles de musique connus du grand public et généralement consommé sans distinction comme simple objet de distraction. Ce que je cherche à présenter à travers le label c'est avant tout de nouvelles sensibilités, des témoignages et des esthétiques individuelles et particulières, une intégrité artistique extrême d'artistes travaillant dans le domaine sonore. Le label fut créé avant même que je sois pleinement conscient de la multitude et de la richesse même de ces nouveaux territoires sonores. Si je connaissais certains termes comme ceux de la musique sérielle, électroacoustique, bruitiste, concrète, industrielle, aucun ne m'a jamais semblé assez vaste pour regrouper tout l'immensité des créations sonores que je découvrais. En cela, je préfèrerais donc à la notion de "musique" substituer celle de "bruit" (et non de musique bruitiste ou de bruitisme qui appartiennent à une école précise). Le bruit non pas envisagé comme parasite et élément extérieur, perturbateur et négatif, mais comme une forme d'activité sonore riche de tous les sons existants concrètement et de tous les assemblages de ces sons possibles par toutes manipulations. D'ailleurs, aucun des individus/artistes figurant dans mon catalogue ne se dit musicien, tout au plus plasticien sonore. Aucun ne cherche à faire de la musique au sens traditionnel du terme. En outre, la plupart d'entre eux travaille dans d'autres domaines (performances, vidéos, écriture…) en plus de celui du son. Le matériau sonore est privilégié parce qu'il est peut-être plus à même de toucher une personne à plusieurs niveaux, et est notamment capable d'une véritable agression physique et physiologique directe. Cette agression n'est pas forcément délibérée, mais est souvent résultante de cette volonté de présenter de nouvelles sensibilités, témoignages parfois extrêmes de la lutte contre une culture actuelle anesthésiante.
Ils nous a été demandé, comme faisant partie de notre contribution, de joindre une discographie sélective. Je n'ai pas désiré en communiquer une, d'une part parce que l'étendue des individus/artistes produisant des travaux sonores dans le domaine qui m'intéresse ne me permet pas de n'en choisir que quelques-uns ; d'autre part, en plus de la restriction numéraire, il m'a été précisé que ces références discographiques devraient être facilement trouvables. Ce qui me semble, là encore, une restriction "effrayante". A l'heure actuelle, seules quelques productions sont disponibles en CD. Si le vinyle tend à disparaître surtout en France et en Europe, et si la K7 est méprisée (notamment sous le prétexte d'une mauvaise restitution sonore), tous deux restent néanmoins les moyens les plus développés dans le milieu underground des "musiques expérimentales". La plupart du temps, on ne peut se procurer les productions qu'au sein-même des networks. Etant des autoproductions, leur tirage est très souvent limité. L'édition d'une K7 varie entre 50 et 200 copies, les vinyles entre 300 et 500, et les CD bien souvent sont réalisés à 500 copies. Ce qui, au niveau international rend effectivement difficile le fait de se procurer certaines productions. Le propre du network est de permettre à n'importe quelle personne d'être en contact avec les labels, ainsi qu'avec les individus/artistes eux-mêmes.
Si le propre des musiques en général est de devenir un produit de consommation courant, le propre des "musiques expérimentales", et encore plus de celles dites underground, est de ne surtout pas être accessibles en tant que tel produit. Ces travaux sonores nécessitent une approche particulière de la part de tout auditeur, un véritable effort et une interaction. Une initiation est probablement nécessaire, et peut-être commence-t-elle par le fait de savoir où se procurer ces créations. Je pense que dans un soucis "d'initiation" ou de sensibilisation à ces productions sonores, il aurait été souhaitable, au lieu de demander une liste de productions, de demander plutôt une liste de contacts de labels, de distributeurs et d'individus/artistes afin de permettre à chacun de prendre véritablement part à ce network, si l'intérêt manifesté est suffisant.